Un ≈ Elle ne tient pas seulement son prénom de sa grand-mère, d’elle elle a aussi hérité son patriotisme et sa force de caractère; gamine sauvage et impatiente, affamée de liberté, pourtant dévouée à sa famille. Mère supplémentaire pour ses frères et soeurs, elle leur a enseigné la même fureur de vivre qu’elle a hérité des ancêtres O’Caellaigh. Deux ≈ Famille nombreuse, argents difficile, amour étouffant; Ethel a quitté son village pour Belfast, poussée à prendre son indépendance par cette figure féminine idéalisée, peut être, mais si fascinante. Grand-Ma’ O’Ceallaigh lui a soufflé des rêves de voyages, d’aventures et c’est la peur au ventre qu’Ethel l’a écouté, épuisant sa couenne de petits emplois pour remplir sa besace d’économies et survivre plus longtemps. Sans doute que son incapacité à rester inactive lui vient de là. Trois ≈Le mouvement est suffragettes est, pour elle, la réponse à ces questions qui lui ont toujours tourné dans le crâne, à ces idéaux qu’elle pensait impossibles, improbables, irréels. Elle s’ouvre à la politique, à la philosophie, aux lettres, éduqué dans le plaisir de l’apprentissage et la passion de l’être. A son désir d’indépendance pour son pays, se mêle son rêve d’indépendance pour son genre. Quatre ≈ Elle l’a attendu, sans se plaindre, sans flancher. C’est long quatre ans, sans respirer. Ce n’est pas une sainte, loin de là et, bien des fois, elle a menacé de craquer, dans l’attente impossible ou dans les bras de prétendants passagers, mais c’eut été céder, se montrer faible, inutile. Rejoindre les rangs grossissants d’infirmières c’était pour faire quelque chose, c’était pour s’épuiser de fatigue en attendant. Cinq ≈ C’est pendant son absence qu’Ethel s’est découverte incapable de supporter le silence. Les premiers temps elle en a profité, évidemment, mais passés les semaines, puis les mois, l’absence d’une autre respiration que la sienne n’a été qu’un rappel constant de sa solitude douloureuse. Alors pour palier le manque, Ethel a pris l’habitude de lui parler, de continuer à faire comme s’il était là, expliquant le vide par le fait qu’ils se manquaient tout bêtement, sans se croiser. Elle a cessé, maintenant qu’Irvin est de retour, même s’il lui arrive parfois de s’adresser à lui, quand bien même ils ne sont pas dans la même pièce. Il n’y a d’ailleurs pas plus agréable, pour elle et sa tranquillité, que de lire sagement dans la même pièce que lui et l’écouter se parler à lui-même, à marmonner sans qu’elle comprenne forcément ce qu’il raconte. C’est juste un bruit auquel elle est habituée, fortement attachée. Six ≈ Fortement rancunière, surtout pour certains sujets, elle a énormément de mal à accepter que certains hommes reprennent leur place, en oubliant qu’en leur absence ceux sont les femmes qui ont comblé le vide. Les forçant à reprendre une place d’ombres silencieuses. Elle s’insurge et râle, tant contre ces hommes qui les écrasent, que contre ces femmes qui s’écrasent. Sept ≈ Dans sa tête, il y a des films qui trainent, des images qu’elle a vu défiler sur un écran, des scènes qu’elle imagine, des scénarios empruntés, d’autres personnels. Elle aussi elle voudrait se tenir derrière une caméra, mais elle n’en a pas forcément le courage ou l’audace, elle qui, pourtant se sent capable de taper du poing.. Mettre en boite ces idées, tout ce qui attrait à l’intimité parce que ce qui sort de sa tête est trop personnel.. Sans doute devra-t-elle vivre avec le regret de ne pas s’y essayer.. Huit ≈ Peut être est elle inconsciente, mais ces gueules cassées lui plaisent. Sa gueule cassée à lui, particulièrement. La différence des uns et des autres, quelqu’elle soit, n’a jamais effrayé Ethel, aussi ces hommes blessés ne la terrifie pas ni ne l’écoeure. C’est leur perte de confiance en eux qui la désole, c’est la perte d’assurance d’Irvin qui la désespère. Neuf ≈ Elle a beau se trouver à Birmingham, Ethel reste attentive à ce qu’il se passe en Irlande, surtout depuis la création de l’IRA, mouvement sur lequel elle n’est pas sûre de se faire une réelle idée. Elle craint qu’il ne provoque la fin de son pays, autant qu’elle est fascinée par sa volonté.. Dix ≈Les armes n’ont pas vraiment de secrets pour elle, cela même si au final elle ne pratique pas le tir et qu’elle ne compte pas vraiment se lancer dedans. Elle connait leur mécanisme, les différents types d’armes et se fascine toujours sur la capacité d’une si petite balle de faire autant de dégâts.. La capacité des Hommes de fabriquer des objets nocifs pour eux-même la surprendra toujours.

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1915. L’herbe est verte, on s’attend même à un soleil chaud dans les jours à venir et, dans le jardin derrière la petite maison, les jeunes pousses s’ouvrent à la promesse d’une saison agréable, d'un lendemain radieux, ignorant la sauvagerie qui ravage la terre, qui détruit les hommes, de l’autre côté de son monde. Trop loin pour les atteindre, trop près pour qu’on l’ignore. Le gazon est frais, humide, chatouille la plante de ses pieds nus, caresse la paume de ses mains. Le ciel s’éclaire, les rayons réchauffe sa peau, éteinte, comme morte, l’âme qui se traîne et le regard qui se perd. Ethel attend. Ethel s’étonne. La vie continue, la vie revient, fait son chemin alors qu’il n’est pas là, alors que son monde à elle s’est arrêté, qu’il stagne et qu’elle regarde la nature qui continue sa route, indépendamment de la sienne. Elle tourne, elle tourbillonne, le coeur qui vacille, les jambes qui tremblent. Elle s’époumone, se bat pour ce qu’elle croit pouvoir changer, parce qu’elle n’a rien d’autre, qu’elle ne peut rien faire d’autres qu’attendre. De temps en temps, on la sort de son cocon, de cette bulle privée qu’elle a façonné de ses doigts agiles, fragiles, où rien n’est trop dur, où rien ne l’atteint, où elle n’attend plus. De temps à autre on l’alerte d’un cri du coeur, « une lettre! Ethel, une lettre ! » et le reste du temps il y a le silence, l’absence et le vide, l’obscurité contre laquelle elle tente de lutter avec une bougie près de l’oreiller, pour éclairer le ciel de la nuit, pour éclairer des rêves qui n’en sont plus. Ethel se flâne, Ethel flétrie, fatiguée par le regard plissé qu’elle pose sur l’horizon, à la recherche d’une ombre, d’une silhouette, qui ne vient jamais. Elle est belle l’indépendance, la fougue, qu’elle croyait posséder, qui fuit, suintent de ses pores et qu’elle perd.
L’herbe est verte, elle pousse silencieusement, pour ne pas réveiller les âmes perdues, qui attendent. Doucement, Ethel glisse ses pieds dans ses souliers trop petits, qui lui cassent les pieds à défaut de lui briser autre chose et tourne le dos. « Comment se porte-t-on aujourd’hui ? » Elle est sourire, douceur et attention, ses mains qui offrent des soins qu’elle veut plus que physique, les mots qui s’échappent de ses lèvres par mécanisme, ses sourires tendres qui illuminent un peu le quotidien des éclopés qui se perdent aux mains des infirmières. « Mieux que la veille, moins bien que demain.. C’est la solitude le plus douloureux. Et vous, Ethel, vous ne craignez pas la solitude ? » Elle sourit, hermétique. Elle connaît la suite, elles la connaissent toutes, ces hommes qui n’ont plus rien, ou pas grand chose et qui espèrent un peu, bêtement, que ces infirmières apportent plus que les soins recommandés. Ethel sourit, ferme les yeux et retient son souffle. Les hommes semblent aimer les femmes qui s’accrochent, qui se tiennent à l’espoir fébrile d’un retour, ils espèrent être ce héros qui les sauvera de l’attente.. Mais il revient, elle le sait. Sinon pour quelle raison aurait-elle acceptée de l’épouser ? L’herbe continue de pousser, l’impatience d’Ethel avec. Elle s’acharne, elle s’use, se rassure en se disant que si c’est pas l’espoir qui flanche ce sera le corps, que c’est mieux comme ça. Elle s’affirme aussi, elle se bat, pas dans les tranchées comme les hommes qui se meurent, qui souffrent, mais comme les femmes qui tapent du poing, plus que du pied, qui haussent le ton. Ethel veut son indépendance, par la force des lois qui changent, mais pas au détriment de la mort d’Irvin dans des tranchées boueuses.

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